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Société

Comment le Covid-19 va-t-il changer nos villes, et nos vies ?

Chaque évènement a un impact plus ou moins important sur le cours de l’Histoire. « On raconte que le battement d’une aile de papillon à Honolulu suffit à causer un typhon en Californie. Or, vous possédez un souffle plus important que celui provoqué par le battement d’une aile de papillon, n’est-ce-pas ? » disait le célèbre écrivain français de science-fiction Bernard Werber. Cette citation pourrait s’appliquer à la situation actuelle avec le Covid-19. Ce virus, parti de la ville marchande chinoise de Wuhan, est devenu aujourd’hui l’ennemi public numéro 1 !  A l’image des autres épidémies, celui-ci est en chemin pour transformer définitivement notre histoire moderne.  De tout temps, les différentes épidémies marquèrent l’Histoire par le nombre de morts qu’elles causèrent, mais aussi par les multiples transformations en profondeur qui en découlèrent dans nos mœurs et dans l’organisation de nos sociétés. Aujourd’hui encore, tout autour de nous, en observant nos villes, nous pouvons trouver les traces de ces différentes pandémies. Les épidémies se muent en architectes de notre monde urbain actuel !

Dès l’Antiquité, en 430 avant JC à Athènes à la suite du siècle de Périclès, la peste entraîna de profonds changements dans les lois et l’identité de la ville. Cette peste ravageuse précipita la chute de la cité auparavant prospère face à sa rivale Sparte. L’ordre et l’équilibre des puissances antiques en fut chamboulé.

L’époque contemporaine fut, quant à elle, une période majeure en ce qui concerne les innovations urbaines engendrées directement par des épidémies. Ainsi, à Londres, la grande digue artère le long de la Tamise, Victoria Embankment, est le fruit d’une lutte acharnée contre le choléra au 19e siècle. Il est surprenant de relier ce remblai avec ses larges et charmants jardins verdoyants à ce moment noir de l’histoire anglaise. Pourtant, c’est suite aux successives épidémies de choléra du 19e siècle, coûtant la vie de plus de 10 000 personnes, que l’ingénieur civil britannique Joseph Bazalgette eut l’idée de réformer l’organisation de la capitale anglaise. Il mit en place un véritable assainissement des eaux de Londres. Son système d’égouts moderne permit aux eaux usées d’être transportées loin des approvisionnements en eau. La France sous Napoléon III, inspirée par le système de rénovation anglais, organisa à son tour, un plan de transformation, d’hygiène et d’assainissement de la capitale. Le Baron Haussmann eut la charge de ces travaux de titans :  grandes rues et boulevards, espaces verts, égouts modernes et réseaux d’adduction d’eau..

Plus récemment, la pandémie Ebola chamboula durablement les sociétés d’Afrique de l’Ouest et mis au jour les grandes défaillances du système sanitaire africain. Les interventions de l’OMS et de nombreuses ONG permirent la construction d’infrastructures hospitalières pour prendre en charge les victimes de ce virus. Aujourd’hui, de nombreuses villes africaines portent les stigmates de ce fléau épidémiologique (maisons supposées abriter le virus brulées et non reconstruites, désertification de certains territoires considérés comme foyers épidémiques…).

Aujourd’hui, alors que le monde entier lutte contre la propagation rapide du Covid-19, à travers le confinement des populations, l’instauration de normes d’hygiène strictes et de distanciation sociale, beaucoup se demandent si a posteriori toutes ces contraintes pourraient devenir notre quotidien, si ce fameux « monde d’après » verrait nos villes durablement transformées. En effet, le Covid-19 pourrait lui aussi façonner nos villes, mettre à bas le monde d’avant en créant de nouveaux équilibres sociaux, économiques, environnementaux, urbains, mais aussi transformer durablement les mœurs, en faisant des précautions et des contraintes sanitaires une nouvelle norme.

Notre mode urbain du XXIe reposait sur une centralisation et densification des métropoles. Toutefois, malgré cette hypracentralisation et l’étalement urbain croissant, de plus en plus de travailleurs jouissent de ce qu’appelle Karen Harris, DG du Macro-Trends Group de Bain consultancy, la « baisse du coût de la distance ». Les innovations technologiques offrent des capacités de travail à distance et permettent aux travailleurs de s’éloigner zones urbaines pour bénéficier d’une meilleure qualité de vie à plus faible coût. Le Covid-19 pourrait se faire l’accélérateur de ce processus de désengorgement des grandes villes. L’épidémie a en effet permis de démocratiser le télétravail. « Ce sont des habitudes qui vont probablement persister », précise Harris. Des grandes villes, telles que New York ou encore Hong Kong, verraient leurs conceptions réorganisées avec une demande croissante pour des bâtiments individuels, des rues plus larges, des bars et restaurants où les clients seraient moins « entassés ». Cela favoriserait une sociabilisation encadrée et plus respectueuse des règles sanitaires.

Nonobstant, cette nouvelle distanciation sociale et le désengorgement des grandes villes s’opposent à des enjeux environnementaux. En effet, la fuite des milieux urbains, qui devenaient de plus en plus autonomes en énergie, vers les milieux ruraux, et de facto la désertification des réseaux de transports en commun au profit des véhicules individuels, est bel et bien antinomique avec une durabilité environnementale. C’est d’ailleurs, ce qu’a souligné le professeur d’étude urbaine au MIT et conseiller principal auprès de l’ONU sur le programme sur le changement climatique et les villes, Richard Sennett : « Pour le moment, nous réduisons la densité partout où nous le pouvons, et pour cause. (…) Mais dans l’ensemble, la densité est une bonne chose : les villes plus denses sont plus économes en énergie. Je pense donc qu’à long terme, il y aura un conflit entre les exigences concurrentes de la santé publique et du climat. ».

Le second impact potentiel du Covid-19, étroitement lié au premier, pourrait être le renforcement de toutes les infrastructures du numérique. Cet impact s’observe d’ores et déjà dans les pays en « post-épidémie ». La technologie pourrait se mettre au service d’une sécurité et d’un contrôle sanitaire plus étroit à travers des aménagements urbains. Les « villes intelligentes » sont désormais plus sûres sur le plan sanitaire. La Corée du Sud, souvent présentée comme un exemple en ce qui concerne la gestion de cette épidémie, a développé une série d’innovations technologiques notamment avec l’établissement d’une cartographie des patients infectés.

En Chine, les BATX, géants chinois de l’innovation, ont été mobilisés pour suivre la propagation de Covid-19, via une analyse approfondie des « mégadonnées » pour prévoir les futurs clusters de Covid-19. Par exemple, le Gouvernement chinois a mis en place dans ses grandes villes un robot de sécurité sanitaire civile. L’appareil, véritable trésor de l’IA, détecte et avertit les gens qui ne portent pas de masque, mais est capable aussi de vérifier les températures corporelles et d’identifier les passants.

Cependant, cette surveillance accrue grâce à l’essor numérique, sous le bon prétexte d’une protection sanitaire, relance le débat concernant la protection de la vie privée et des libertés individuelles. En effet, l’autoritarisme et la surveillance au sein des villes pourraient être conservés dans certains Etats. Comme le souligne très justement Senett, « si vous revenez à travers l’histoire et regardez les réglementations mises en place pour contrôler les villes en temps de crise, de la révolution française au 11 septembre aux États-Unis, beaucoup d’entre elles ont mis des années, voire des siècles à se défaire ». L’une des conséquences directes du Covid-19 pourrait être l’isolement des nations et l’accroissement de la montée des mouvements nationalistes et protectionnistes dans le monde.  Par ailleurs, certaines populations pourraient se voir stigmatiser comme l’ont été dans le passé les atteints de maladies contagieuses comme la lèpre, et pourraient faire les frais de la colère du public. Au 15e siècle, suite à l’épidémie de peste noire, les villes fermèrent leurs portes aux étrangers. La quête absolue d’un responsable pour tous ces maux entraîna une forte xénophobie et le rejet de certaines populations, notamment les Juifs.

Aux Etats-Unis les multiples références du président Trump au « virus de la Chine », pourrait aggraver la fragmentation spatiale ethnique. Les populations émigrées chinoises se renfermeront d’autant plus dans leurs China Town, rejetées et s’éloignant de plus en plus de l’unité nationale américaine.

A contrario, certains urbanistes plus optimistes parlent ironiquement d’un scénario de rapprochement social post Covid-19. En effet, on observe durant l’épidémie une prolifération des groupes d’entraide. Entre les personnes âgées dont les soins sociaux demeurent insuffisants, les travailleurs à bas salaire ou encore les familles monoparentales, la précarité et la vulnérabilité de certains individus en marge de la société a fait réagir et a permis de beaux actes de solidarité.

L’agglomération d’habitants individualistes aux modes de vie fragmentés pourrait se transformer en une unité nationale plus forte et générer une multiplication des demandes des citoyens à l’Etat pour la mise en place de mesures de protections envers les plus vulnérables. Aux Etats-Unis, les citoyens appellent les hôpitaux privés à ouvrir leurs lits sans frais supplémentaires pour ceux qui en ont besoin. Dans la ville de Californie, Los Angeles, la saisie de logement vacants par des sans-abris a été soutenue par certains législateurs. Les divisions démographiques et sociales à l’échelle urbaine seraient de facto affaiblies. A travers tous ces scénarios, il est légitime de nous interroger sur ce que sera la ville de demain, et comment évolueront nos liens sociaux.

Dans ce monde où la question sanitaire devient l’une des majeures préoccupations aux cotés des préoccupations environnementales, le Covid-19 apparaît comme un élément déclencheur, façonnant nos sociétés, en véritable artisan. Les tendances déjà à l’œuvre vont s’accélérer, mais aussi d’autres imperceptibles aujourd’hui émergeront pour nous précipiter vers le monde de demain, pour le meilleur ou pour le pire.

Sources The Gardian

Clémence Rossignol
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Aimant écrire sur des sujets de société, géopolitiques ou économiques, je vous propose ici mon jeune regard à travers une actualité hebdomadaire. J’essaie d’étudier en profondeur des sujets souvent peu traités par les médias traditionnels nationaux.

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