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Musée quai Branly
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Société

Réacquérir ses œuvres, ultime étape vers l’indépendance pour l’Afrique

Depuis ces dernières années, la question de la restitution ou non aux Etats africains de certaines œuvres d’art détenues par les musées européens, se fait de plus en plus pressante. Ce retour aux pays d’origine d’un pan de leur histoire nationale est devenu un enjeu majeur de coopération culturelle avec les États africains. Aujourd’hui, de plus en plus de pays africains ouvrent leurs propres musées nationaux. Après l’acquisition de leur indépendance, ils doivent désormais batailler pour la restitution de leur patrimoine culturel, en partie dérobé par les européens durant la colonisation. La majorité des œuvres d’art africaines se trouve en effet, à l’heure actuelle, hors de leur continent d’origine, et plus précisément en Europe. En prenant en compte à la fois les grands musées mondialement reconnus, mais aussi toutes les collections privées, on dénombre sur le vieux continent près de 90% des œuvres provenant d’Afrique. De ce fait, plus d’un milliard d’Africains se retrouvent alors privés d’un accès à une partie de leur propre histoire.

Bien que toutes ces revendications ne soient pas nouvelles, celles-ci n’ont cessé de s’intensifier ces deux dernières années. En l’honneur du soixantième anniversaire de leur indépendance, 17 gouvernements africains des anciennes colonies ont souhaité profiter de cette occasion pour faire de 2020 « l’année du retour » de leur patrimoine culturel.

A titre d’exemple, la Côte d’Ivoire a réclamé à la France pour 2020, la restitution d’une pièce maitresse de son identité, le célèbre tambour parleur Ébrié de l’ethnie des Atchans, que le pays entend exposer au musée des civilisations d’Abidjan.

Le Nigeria réclame, quant à lui, la restitution d’une vingtaine de bronzes.

Le phénomène de restitution prend aujourd’hui de l’ampleur. Aussi, plusieurs pays occidentaux souhaitent réenrichir peu à peu les collections des musées africains, en leur rendant les œuvres qui leur reviennent.

« Nous sommes en contact avec de nombreuses associations et personnalités américaines qui veulent s’organiser pour promouvoir le retour des nombreux objets africains exposés dans les grands musées des États-Unis. » a annoncé Louis-Georges Tin, le président du Conseil représentatif des associations noires de France.

Au Parlement européen, le 26 mars 2019, un texte a été rédigé mettant à l’ordre du jour plus officiellement la question des restitutions d’œuvres africaines. Les députés européens ont encouragé les États membres à offrir « des réparations sous la forme d’excuses publiques ou d’une restitution d’objets volés à leurs pays d’origine ».

Au Royaume-Uni, le Musée de Manchester a annoncé, qu’après avoir identifié des héritiers des personnes à qui ces œuvres avaient été dérobées, il leur rendrait certaines pièces.

L’Allemagne souhaite également engager un dialogue constructif et négocier avec les autorités africaines sur ces questions.

En ce qui concerne la France, le président Emmanuel Macron s’était montré favorable à une restitution rapide d‘œuvres d’art africaines, lors de sa visite à Ouagadougou, en novembre 2017. Plus officiellement fin 2018, le président français avait promis cette restitution pour 2020-2021, à la suite de la remise d’un rapport qu’il avait commandé sur ce thème aux universitaires Bénédicte Savoy, du Collège de France, et Felwine Sarr, de l’Université de Saint-Louis au Sénégal. Dans ce texte, les deux spécialistes posent les jalons d’une restitution à l’Afrique subsaharienne d’œuvres d’art africaines extorquées à l’époque coloniale. Ces universitaires souhaitent également que des fonds soient levés afin de fournir les moyens économiques à la recherche pour qu’elle définisse l’origine de ces œuvres, pour déterminer si celles-ci ont été dérobées par des colons ou bien si elles ont été acquises légalement.

Plus récemment, le 16 juillet 2020, un premier projet de loi sur la restitution définitive par la France de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal a été acté. Il a été mené par le Premier ministre M. Castex, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères M. Le Drian, et la ministre de la Culture, Mme Bachelot.

Constitué de deux articles, ce projet de loi entraîne notamment la restitution formelle au Benin, dans le délai d’un an, des vingt-six œuvres originaires de la commune béninoise d’Abomey, conservées actuellement au musée du quai Branly à Paris. En outre, ce projet de loi assure le transfert de propriété au Sénégal du sabre avec fourreau dit d’El Hadj Omar Tall, étant pour l’heure au musée de l’Armée française. Déjà remis symboliquement en novembre 2019, au Président sénégalais Macky Sall lors d’une visite à Dakar par l’ancien Premier ministre français Edouard Philippe, ce geste avait suscité de nombreuses polémiques. Les Sénégalais ont été outrés d’apprendre que cette remise du sabre à leur Président par le Premier ministre français, n’était en réalité qu’un prêt de cinq ans. Selon eux, il est insultant et même provoquant que cette œuvre d’art qui leur a été volée, leur soit par la suite seulement prêtée ! Ce récent projet de loi voté début juillet, permet ainsi de stopper ces polémiques et d’établir juridiquement les bases propices à ces restitutions.

Toutefois, malgré tous ces processus engagés pour rendre à l’Afrique ce qui lui revient, ces actions de restitution se retrouvent souvent bloquées par une vague d’oppositions. En France, certains opposants avancent l’argument de l’inaliénabilité des collections nationales. Selon eux, l’origine de certaines œuvres est inconnue, elles auraient pu être achetées ou encore collectées lors de missions ethnologiques et religieuses. En raison du manque actuel d’informations sur le contexte de l’acquisition d’un grand nombre d’œuvres, ces opposants aux restitutions avec transfert de propriété, militent plutôt pour une « circulation » des œuvres entre la France et l’Afrique. « De toute façon, ce n’est pas du droit, c’est de la politique. Quand la France a voulu rendre des objets à la Chine ou à l’Algérie, elle ne s’est pas embarrassée de ces questions. C’est purement une affaire de rapport des forces » a expliqué Louis-Georges Tin. Par ailleurs, de nombreux musées contestent certaines de ces revendications et se refusent à restituer définitivement des œuvres africaines qui font partie intégrante de leurs collections. A la suite de débats musclés avec le Nigeria, qui réclamait au British Museum des œuvres lui revenant et destinés à enrichir la collection de son nouveau musée le Royal de Benin City, le musée londonien a déclaré qu’il n’était pas un musée colonial, mais un musée consacré au patrimoine mondial. D’autre part, pour un grand nombre de directeurs de ces musées mondialement reconnus, l’état des infrastructures africaines constituerait un argument valable contre la restitution rapide des œuvres, qui seraient de facto misent en danger. Guido Gryseels, directeur de l’Africa Museum en Belgique, a souligné, suite aux revendications de la République démocratique du Congo, que celle-ci avait déjà à faire avec les collections qu’elle détenait. Selon lui, les 85 000 artefacts en la possession de cet Etat africain, ne seraient pas « conservés dans des conditions optimales ». Enfin, appuyant les arguments des opposants aux restitutions, le Bénin par exemple, a annoncé l’été dernier qu’il n’était pas prêt à accueillir dans de bonnes conditions les vingt-six objets en bronze pourtant demandés à la France.

Nonobstant, ce manque d’infrastructure ne s’applique pas à tous les Etats africains et certains opposants aux restitutions sont bien prompts à généraliser. Ayant anticipé cette problématique, de nombreux pays africains avaient déjà entamé, ces dernières années, des grands travaux, afin de remédier à ce déficit d’infrastructures. Par exemple, dans la capitale tchadienne, le musée national à N’Djamena est flambant neuf et répond aux normes internationales en matière de conservation et de mise en valeur des objets d’art. D’autres Etats d’Afrique projettent de construire de nouveaux musées, prêts à accueillir ces nouvelles œuvres importées d’Europe. C’est le cas notamment de la République démocratique du Congo souhaitant bâtir un musée national qui sera construit par la Corée du Sud. De même, en Côte d’Ivoire, le gouvernement a prévu d’ériger un nouveau musée d’envergure. Enfin, au Bénin, trois nouveaux musées devraient voir le jour : un musée de l’épopée des rois d’Abomey ; un musée international des arts et des civilisations vaudous dans la ville de Porto-Novo ; et enfin à Allada un musée dédié à l’esclavage, la résistance et à la mémoire de Toussaint Louverture.

Toutefois, la restitution d’œuvres d’art africaines et le transfert de leurs titres de propriété aux Etats dont elles sont issues, n’engendrera pas leurs disparitions dans les collections de nos musées européens. Le Forum Humboldt de Berlin pourrait ainsi continuer à exposer une centaine de prestigieux masques du Bénin par le biais d’un prêt d’œuvres. Ces prêts pourraient de surcroît permettre de financer cette appétence africaine pour la mise en valeur de son patrimoine culturel et la préservation de ses rites et coutumes à travers ces œuvres, comme témoignage pour les générations futures.

Ces restitutions ont par ailleurs une portée symbolique, puisqu’elles permettraient de signer définitivement la fin de la domination européenne. Les anciennes colonies retrouveraient enfin leur souveraineté sur leur patrimoine culturel !

Clémence Rossignol
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Aimant écrire sur des sujets de société, géopolitiques ou économiques, je vous propose ici mon jeune regard à travers une actualité hebdomadaire. J’essaie d’étudier en profondeur des sujets souvent peu traités par les médias traditionnels nationaux.

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