Lors de son allocution télévisée du dimanche 14 juin, le Président de la République Emmanuel Macron n’a cessé d’exprimer sa volonté de « (…) bâtir un modèle économique durable, plus fort, de travailler et de produire davantage pour ne pas dépendre des autres ». L’épidémie de Covid-19 a bel et bien souligné les limites de ces chaînes de valeurs ajoutées bien trop mondialisées. « Bien sûr, cette épreuve a aussi révélé des failles, des fragilités : notre dépendance pour nous procurer certains produits (…) », a encore concédé le Président.
Le Covid-19 a entraîné en effet le ralentissement de l’économie chinoise et la suspension de nombre d’échanges commerciaux avec le pays. Cet arrêt conséquent de certaines exportations chinoises a mis en exergue la nécessité pour l’Hexagone de s’affranchir de cette dépendance à certaines importations et de relocaliser certaines industries clés sur le territoire nationale, notamment celle concernant la production de ses médicaments.
La production de nombreux médicaments dépend en partie bel et bien du géant chinois ! Selon l’Académie française de pharmacie, 80% des principes actifs consommés en Europe sont produits en Chine, en Inde et en Asie du Sud-Est. La production d’un grand nombre de génériques est délocalisée. Aujourd’hui, 90% de la pénicilline (l’antibiotique le plus courant), 60% du paracétamol et 50% de l’ibuprofène sont fabriqués par des usines en Chine. Notre santé, et donc par extension nos vies, ne seraient pas uniquement entre les mains de notre nation, mais dépendraient aussi d’autres puissances internationales comme la Chine.
Cette incroyable montée en puissance dans le marché pharmaceutique est fortement soutenue par le gouvernement chinois dans le cadre du plan « Made in China 2025 ». L’Empire du Milieu ne lésine pas sur les moyens pour se rendre attractif et a considérablement réformé son système de santé, afin d’attirer de facto les laboratoires pharmaceutiques occidentaux. Le premier ministre chinois Xi-Jimping, promet des subventions et des allègements fiscaux importants, moins de contraintes administratives pour l’approbation des nouveaux médicaments et moins de restrictions budgétaires que partout ailleurs dans le monde. En outre, le pays assure une main-d’œuvre scientifique de qualité et peu coûteuse, un marché de 1,3 milliard de clients potentiels, et un système hospitalier monumental et très réceptif aux essais cliniques. Aujourd’hui ce territoire occupe ainsi une position de sous-traitant low-cost privilégié par un grand nombres d’entreprises étrangères.
Mais bien au-delà de cette place de sous-traitant, la Chine adopte une politique de plus en plus ambitieuse. Avec un marché pharmaceutique local estimé à 106 milliards d’euros en 2017, celle-ci se positionne à la deuxième place sur le marché mondial du médicament derrière les États-Unis, selon le cabinet d’études Iqvia. Attirant de plus en plus d’investissements publics et privés, Pékin compte à l’avenir faire rivaliser ses propres entreprises avec les plus « grands » du domaine pharmaceutique et devenir le fournisseur majeur mondial en médicaments.
Par ailleurs, à Pékin, cette montée en puissance est visible par la poursuite de l’extension d’un technopôle spécialisé dans les sciences médicales, construit sur le modèle des clusters américains. En effet, la « Pharma Valley » de Shanghai, immense district de plus de 1 210 km2 situé dans le parc technologique de Zhangjiang à Pudong, est au cœur de cette stratégie de conquête ! Cet épicentre des biotechnologies en Chine aurait enregistré, en 2018, un PIB de 145 milliards de dollars, soit un tiers de la production économique annuelle de Shanghai.
Sept des dix plus grands groupes pharmaceutiques du monde y sont déjà établis et près de 400 entreprises de biotech y ont des activités de R&D ou de veille technologique. Ce lieu unique a ainsi formé un système d’innovation biopharmaceutique complet et des grappes industrielles.
Mais ce désir croissant d’expansion de la Chine pourrait à l’avenir se heurter aux politiques émergentes de relocalisation de ces entreprises primordiales et essentielles au pôle de la santé. En France, la relocalisation des entreprises de cette filière, entre bel et bien dans le cadre du « pacte productif », déjà annoncé en octobre 2019. Une politique fiscale plus attractive fait partie des pistes de réflexion. Le gouvernement pourrait appuyer sa légitimité à relocaliser ces entreprises sur son système de santé. En effet, le service public de la sécurité sociale finance et porte en France l’industrie pharmaceutique. Un autre levier à la relocalisation pourrait ainsi être le non-remboursement des médicament internationaux. Cette relocalisation s’inscrirait donc dans une politique de relance post-Covid et pourrait offrir aux Français souffrants de la crise, de nouvelles offres d’emplois, tout en assurant l’avenir du pays, via cette nouvelle autonomie. Ainsi, l’Ile-de-France, le Rhône-Alpes et le PACA, à la tête du classement des régions les plus attractives pour les investisseurs pharmaceutiques, pourraient-elles assister au retour de filiales du domaine de la pharmacologie.
Il s’agirait d’une première étape dans l’acquisition de cette « indépendance », mot-phare du dernier discours du Président de la République. Mais de nombreux secteurs stratégiques demeurent encore très mondialisés dans leurs chaînes de valeurs ajoutées. Jusqu’où ira donc cette volonté d’indépendance ? Irons-nous vers une indépendance française, ou bien sommes-nous en marche vers une indépendance européenne ?