Jeudi dernier, le 16 juillet 2020, l’Inde a atteint le tragique nombre d’un million de cas de Covid-19. Ce pays densément peuplé, avec environ 413 habitants par km², et au système hospitalier précaire, risque gros dans la propagation de cette épidémie. Ainsi, les États les plus touchés par l’épidémie, tels que le Maharashtra et le Tamil Nadu, sont confinés pour l’heure jusqu’au 31 juillet. D’autres États indiens, où l’on constate une recrudescence du nombre de cas, comme au Bengale-Occidental, au Goa, au Bihar ou même à l’Assam, doivent se confiner à nouveau. Cet isolement de certains États indiens est dramatique, car il entraîne un gel de l’activité économique nationale. Auparavant déjà atone, la consommation des ménages est dorénavant en chute libre. De nombreux Indiens ont perdu leur emploi et se retrouvent aujourd’hui dans des situations violant les droits humains. Selon le centre de surveillance de l’économie indienne, près d’un quart de la main-d’œuvre nationale n’a plus de travail. Une crise sans précédent se profile. Le ministère indien des finances a exprimé d’ailleurs son inquiétude pour cette année, et s’attend à 4,5% de baisse de son PIB d’ici fin 2020. Face à cette récession économique inéluctable, tous les membres du gouvernement s’accordent sur l’urgence d’agir pour relancer l’activité.
Le Premier ministre Modi avait déjà annoncé le 12 mai dernier un plan de soutien de 240 milliards d’euros, ce qui équivaut à 10 % du PIB national. Pour relancer l’économie fortement affectée par la crise du Covid-19, le gouvernement indien a abaissé les normes de protection aussi bien pour les travailleurs qu’en matière d’écologie. La ligne directrice de cette relance était de faire de l’Inde une nation « autosuffisante ». Ces deux dernier mois, Narendra Modi a axé sa relance sur une hyperproduction et misé sur la consommation. Il s’est absout de toute contrainte sociale, en autorisant la suspension des droits sociaux, qui protégeaient auparavant les travailleurs. Le gouvernement permet le retour progressif d’un esclavage moderne ! La relance, suite à l’onde de choc économique générée par le Covid-19, devient alors un « laissez passer » pour l’instauration de mesures violant non seulement les droits du travail de millions d’Indiens, mais empiétant par la même occasion sur les droits fondamentaux humains. Les entreprises sont désormais exemptées de respecter les lois relatives à la sécurité, à la santé et aux conditions de travail. Dorénavant, les ouvriers pourront travailler jusqu’à 72 heures par semaine pour un salaire miséreux sans concertation sociale. Cinq États indiens ont supprimé pour une durée de trois ans une grande partie du droit du travail auparavant en vigueur, afin d’attirer les investisseurs étrangers, nommément les Européens et les Chinois. A titre d’exemple dans l’Etat du Gujarat, la journée de travail passera de 8 à 12 heures. Au Madhya Pradesh, les nouvelles usines pourront s’affranchir de respecter les règles sociales, tel que le droit aux congés payés. Elles n’auront même plus besoin d’informer le ministère du travail en cas d’accident au travail.
Par ailleurs, ce plan de relance en vigueur depuis déjà deux mois n’a pas seulement choqué l’opinion internationale sur le plan social. Dans ce contexte de pandémie, ce pays déjà champion en matière de pollution, ne semble faire aucun cas de la cause environnementale. Les réformes et les mesures prises pour assurer son rebond économique, mettent à bas de nombreuses normes environnementales existantes.
Alors qu’encore au mois d’avril dernier grâce au confinement, l’Inde pouvait s’enorgueillir d’avoir retrouvé un air pur dans ses mégapoles, laissant ainsi voir dans un rayon de 200 km, pour la première fois depuis 30 ans, les cimes de l’Himalaya, le pays semble prendre aujourd’hui le chemin d’un non-retour… Derrière le joli slogan de l’autosuffisance, se sont dissimulées progressivement des actions profondément anti-écologistes. En avril, un nouveau Code environnemental a allégé véritablement les contraintes qui pesaient avant sur les industriels du point de vue écologique. De plus, l’obligation de laver le charbon dans les centrales pour diminuer leurs émissions de CO2 a été supprimée. En outre, sous couvert de relance, de nombreux projets allant à l’encontre de la protection des écosystèmes, ont été validés par le ministère de l’Environnement. L’un d’eux consiste en la construction d’une centrale à charbon dans une région forestière de l’Orissa. Enfin, Narendra Modi compte sur l’exploitation du charbon, pourtant particulièrement polluante, pour sauver l’économie de son pays. Le 18 juin dernier, celui-ci a d’ailleurs ouvert une gigantesque vente aux enchères des gisements de charbons aux entreprises privées.
Ces nouvelles politiques du BJP, parti au pouvoir, mettent en péril d’une part la protection sociale des travailleurs indiens, mais délaissent et amenuisent aussi d’autre part l’importance accordée à la question écologique en Inde. Toutefois, la question climatique est pourtant étroitement corrélée aux questions sociales et à l’économie du pays.
En Inde, la température croissante et les vagues de chaleur engendrent des sécheresses, ce qui rend un grand nombre de terres arides et souvent infertiles. De plus, les inondations y sont fréquentes et détruisent des villages entiers. Plus récemment, l’Inde a dû faire face non seulement au pire cyclone du XXIe siècle dans l’est de son territoire, mais aussi à la pire invasion de criquets depuis ces trente dernières années dans l’ouest. Or, selon de nombreux météorologues, ces intempéries résultent du changement climatique ! Chaque année, des millions de personnes victimes de ces intempéries et ayant tout perdu, migrent vers de grandes villes, telles que Delhi, Bangalore, Mumbai, ou Chennai. Malheureusement, la majorité de ces « expatriés climatiques » finit par vivre dans des bidonvilles surpeuplés, sans hygiène et sans eau courante. Ils sont employés dans des usines, avec des conditions de travail pitoyables. Ces Indiens en situation extrêmement précaire ont été les premières victimes du Covid-19, car ils ne pouvaient pas suivre les normes d’hygiène et de distanciation sociale.
Avec ses réformes pour générer la relance économique, le gouvernement indien met en place un contexte favorisant la répétition sans fin de ce scénario de propagation massive du virus. L’activiste écologiste Chittaranjan Dubey, ancien dirigeant de la branche indienne du mouvement Extinction Rebellion, a d’ailleurs prévenu le gouvernement indien à ce sujet : « Compte tenu de l’augmentation des pandémies et des catastrophes naturelles, si nous ne pouvons pas repenser notre modèle dès maintenant, nous sommes condamnés. ».
Ainsi l’Inde se retrouve-t-elle à un tournant de son histoire et doit faire des choix difficiles pour sa survie économique. Ces choix auront des répercussions sur les 1 milliard d’Indiens qui la peuplent, mais aussi sur le reste du monde !