Depuis le début de la crise de Covid-19, de nombreuses vidéos et photos ont circulé et inquiété sur les réseaux sociaux. Les clichés présentent des scènes de paniques et des rayons de supermarchés dévalisés parfois totalement vides en ce qui concerne les rayons de pâtes, de riz et de produits en conserves.
Cette crise inédite mondiale souligne une fracture révélatrice d’une terrible inégalité entre les États en ce qui concerne l’autosuffisance alimentaire. Certains pays semblent protégés face à une pénurie alimentaire, mais d’autres a contrario s’y montrent plus exposés que jamais.
En France, l’Association nationale des industries agroalimentaires (Ania) a alerté en ce qui concerne la surconsommation et l’attitude totalement déraisonnée des Français. En effet, depuis le début du confinement, les ventes de farine auraient environ augmenté d’environ 147% par rapport à l’an passé. Toutefois, si le risque de pénurie plane sur le plan international, la grande puissance agricole française sera épargnée par cette crise alimentaire. Le 8 avril, le ministre de l’agriculture Didier Guillaume a affirmé que la chaîne alimentaire française tenait et qu’il n’y aurait pas de pénurie nationale.
Cette sécurité dont bénéficie la France, due à une autosuffisance du territoire, grâce notamment à la polyculture et la forte mécanisation des exploitations, n’est pas homogène à l’échelle mondiale.
Le 1er avril, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’étaient déjà inquiétées dans un communiqué commun en ce qui concerne ce risque croissant de pénurie alimentaire mondiale qui menace des centaines de millions de personnes.
Les marchés internationaux sont sous pression, face à une inflation et une précarité croissantes. Arthur Portier, analyste chez Agritel, parle de volatilité des prix des matières premières agricoles. Cette situation atypique, avec le confinement, les fermetures de frontières et la chute des cours de nombreuses matières premières (pétrole, gaz…) fragilise le multilatéralisme agricole. Ipso facto, les investisseurs sont paniqués à l’idée de cette récession mondiale qui se profile et au fur et à mesure devient une réalité. Bien que l’état des stocks ne soit pas alarmant et que les denrées existent, divers facteurs peuvent expliquer cette nouvelle crise découlant du Covid-19 : les retards de transport, la pénurie de main-d’œuvre agricole mondiale, mais aussi les sur-stocks que font certains États.
En ce qui concerne les retards de transports, la fermeture des frontières et la limitation même sur les plans nationaux de la circulation, ont fortement ralenti les flux de marchandise. Les exportations alimentaires seraient les premières à pâtir des retards aux frontières, qui pourraient engendrer un gâchis des produits périssables.
De plus, la pénurie mondiale de main-d’œuvre dans le domaine agricole est aussi problématique. Avec l’épidémie, les saisonniers qui venaient habituellement travailler aux champs y sont désormais absents. Au Royaume-Uni, on dénombre 90 000 postes dans le domaine agricole à pourvoir. Face à ce cruel manque de main-d’œuvre, le gouvernement britannique prévoit d’organiser des vols pour faire venir exprès des travailleurs agricoles.
Enfin, certains Etats réalisent un sur-stock et polarisent ainsi toutes les denrées. Ce surstock s’accompagne de mesures protectionnistes prises par certains États, comme la limitation des exportations. Par exemple, le Kazakhstan, le plus grand exportateur mondial, a suspendu ses exportations de farine de blé. De même, l’Ukraine et la Russie s’interrogent sur le fait de garder leur blé. Enfin, le Cambodge et le Vietnam souhaitent garder leur riz. La Chine, quant à elle, a commencé à préparer des réserves de farine pour tenir au moins une année. Toutefois, elle continue, par peur ou par précaution, d’en acheter par grosses quantités aux grands pays producteurs, comme les États-Unis.
Cependant, de telles réactions participent au déséquilibre entre l’approvisionnement alimentaire et la demande. Ce sont les pays à faible revenu et en déficit alimentaire qui en pâtissent et vont subir cette pénurie.
En Afrique, la situation risque d’être critique. Les prix des fruits et légumes ayant doublé en l’espace de quelques jours. En effet, le continent africain est très dépendant d’importations notamment vis-à-vis de la Chine, qui, elle, a réduit drastiquement ses exportations. Certaines économies africaines, comme celle de l’Angola, du Mozambique, du Nigeria ou même du Congo, dépendent essentiellement de leurs propres exportations de pétrole ou de cuivre, et ne disposent pas de secteur agricole performant. Ce manque à gagner économique, en ce qui concerne l’export de leurs matière première, les empêchent de disposer de ressources économiques suffisantes, afin de subvenir aux besoins alimentaires de leurs populations, via les importations.
En Algérie, le désert du Sahara aride et hostile représente près de 90 % de la surface du territoire. Ces terres, pour la plupart non cultivables, ne permettent donc pas de nourrir les 43 millions d’algériens. Le pays se positionne comme le deuxième plus gros importateur de blé au monde, qui constitue la base de l’alimentation de ce peuple. Mais suite à la crise du Covid-19, les importations se font plus rares. Devant les usines de Baghlia à l’est d’Alger, des Algériens, venus des quatre coins du pays, s’amassent en espérant repartir avec un sac de semoule.
Sur un autre continent, au Paraguay, des difficultés se font aussi ressentir. En effet, bien que le pays soit le quatrième plus grand exportateur de soja au monde, celui-ci paie le choix de cette monoculture et de sa dépendance vis-à-vis des importations. Depuis le début de la crise, le prix des fruits et des légumes au Paraguay a augmenté de 120%.
Face à cette situation mondiale dramatique, l’agence onusienne de la PAM pré-positionne enfin des stocks alimentaires supplémentaires dans ses dépôts humanitaires. Elle souhaiterait par ailleurs, mettre en place des opérations de distribution alimentaire ou effectuer des transferts d’argent en espèce, au cas par cas. Cette contribution des coopérations permettrait de réduire les inégalités étatiques en ce qui concerne l’accession aux besoins fondamentaux humains, dans ce contexte inédit de crise sanitaire. Il est grand temps d’être solidaire, et maintenant plus que jamais !