Par Daniel WHILE, MRICS, Directeur Recherche & Stratégie
de Primonial REIM.
Alors que le monde traverse une crise d’une nature inédite, et dont l’une des caractéristiques est l’évolution rapide de l’information, il nous a paru utile de partager notre vision des évènements et de leur impact sur les marchés immobiliers.
L’immobilier de bureaux : un choc en trois temps
Le bureau est depuis 20 ans le produit phare de l’investissement institutionnel en immobilier en France. Il représente chaque année environ 60% du volume d’investissement immobilier global et monte à 70% pour l’immobilier d’entreprise. Par conséquent il représente l’essentiel des détentions institutionnelles d’immobilier. Il est pour les institutionnels un actif, généralement de détention longue (8-10 ans) et dont la vocation est d’apporter un flux régulier de revenu locatif. C’est la raison pour laquelle les opérations core, dans des localisations matures, ont été privilégiées aux opérations plus spéculatives. Sur la période 2010-2020, la compression des taux a cependant permis de générer des plus-values latentes considérables pour les investisseurs qui s’étaient positionnés en début de cycle.
Le « Grand Confinement » (Terme utilisé par le FMI dans son rapport The Great Lockdown, Avril 20) n’a pas eu d’impact immédiat sensible sur les recouvrements de loyers des bureaux, comme il en a eu pour les commerces et les actifs hôteliers. La majorité des bureaux détenus par des investisseurs institutionnels, loués à de grandes entreprises dans des marchés locatifs matures, ont moins souffert que les bureaux de plus petite taille loués à des PME. L’activation de Plans de Continuité d’Activité, l’existence d’une trésorerie abondante, et d’une diversification des métiers, a clairement joué en faveur des grandes entreprises. Immobilièrement, les stratégies core ont été récompensées. Au niveau de l’investissement, le flux de transactions en immobilier de bureaux se poursuit, sous la forme de la finalisation des opérations qui avaient été engagées avant mars. Si la tonalité générale des investisseurs est au « wait & see », une grande partie d’entre eux n’a pas posé le stylo et un certain nombre de transactions en bureaux se sont effectuées depuis mars, à des niveaux de valorisation conformes aux taux de capitalisation antérieurs. En tout état de cause il n’y a pas aujourd’hui d’illiquidité du marché des bureaux.
Le bureau face aux effets de 2e tour
Les effets de 2e tour sont les plus difficiles à anticiper dans le cas de la crise actuelle, car ils dépendent en grande partie de politiques publiques (plan de relance, réformes économiques…), lesquelles dépendent largement de l’évolution de la situation sanitaire elle-même (arrivée d’un vaccin, 2e vague, etc.). Par exemple, une succession de périodes de confinement du fait d’un rebond du virus, validerait un scénario dit « en W ». Aujourd’hui nous assistons à un « portage » de la trésorerie des entreprises en difficulté par l’Etat, via la garantie sur les crédits et les dispositifs de chômage partiel. Nous ne savons pas quand ce portage sera terminé, ni les politiques publiques qui seront proposées alors. Une incertitude plane donc sur le nombre de faillites, redressements judiciaires et autres dépôts de bilan.
Le 3e tour : accélération des usages
Au Japon le concept de ma (qui se traduit en français par « espace », « distance ») désigne la valeur de ce qui est créé lorsqu’une distance, un intervalle, un silence a lieu entre deux êtres. Produit par une civilisation que la densité de population a contraint à des protocoles avancés pour maintenir une cohésion sociale malgré la promiscuité, il se pourrait que ce concept soit utile aux pays occidentaux pour appréhender l’après-Covid-19. Créer de la communauté en maintenant la distance, c’est le défi qui va s’imposer à tous, et en particulier aux entreprises. L’évolution des usages dont il est question (« nomadisme », « Flex office », « télétravail » …) se situe au confluent de la rationalité financière des entreprises d’une part, et de la mutation du travail, d’autre part5. On peut l’approcher sous ses deux aspects :
- Une optimisation financière par l’espace de travail
- Une transformation des temps de travail
L’essence du contrat passé implicitement entre l’entreprise et son salarié pourrait se résumer ainsi : l’entreprise optimise son espace ; le salarié optimise son temps. La technologie est à la fois l’outil et l’accélérateur de ces évolutions.
La productivité du télétravail « en mode dégradé » durant le confinement reste à évaluer. Ainsi que les investissements qui seraient nécessaires à une hypothétique généralisation : formation des managers, équipement informatique, volumétrie des réseaux internet, gestion des mobilités, sans oublier les procédures de contrôle interne en matière par exemple, de gestion des données personnelles, de signature, de droit à la déconnexion, etc. L’optimisation des espaces peut être un gain à long terme, mais un coût à court terme.
En tout état de cause, dans la foulée du déconfinement, les entreprises tertiaires auront à gérer une équation complexe entre la baisse de la densité des espaces – pour maintenir une distanciation sociale suffisante – et le télétravail. Mais l’accélération du télétravail ne signifie pas pour autant la disruption du bureau en tant que service.
Conclusion : quel impact pour l’investisseur en bureaux ?
A ce stade de la crise sanitaire et économique, et si l’on partage l’hypothèse – largement admise – que les mesures de distanciation sociale vont s’inscrire dans le temps long, quelles sont les premières leçons qui s’appliquent à l’investisseur institutionnel en bureaux ?
- Mieux intégrer la dimension sanitaire à la due diligence.
- Repondérer l’importance du locataire au regard de sa capacité à honorer un bail long terme avec l’immeuble en question
- Prendre en compte l’obsolescence d’usage en plus de l’obsolescence du bâti.
Pour le bureau comme pour d’autres classes d’actifs, la crise du Covid-19 se présente comme un accélérateur, parfois brutal, des tendances qui avaient cours auparavant : intégration du sanitaire et de l’ESG en général dans les valeurs d’actifs ; flexibilité de l’outil immobilier face aux évolutions du travail ; montée en puissance des objets connectés et importance de la donnée pour l’asset management. S’il faudra nécessairement un temps d’ajustement aux investisseurs, il est raisonnable de penser qu’une hiérarchie plus marquée – donc mieux rémunérée – entre les marchés prime, core et core +, ainsi qu’entre le neuf et l’existant, émergera de cette crise. La « nouvelle normalité » du bureau serait alors plus complexe et plus saine.
Lire la note complète : https://www.primonialreim.com/documents/14836074/14836149/24-04-20_Note-6-Covid19_Primonial-REIM.pdf/488eb8ee-317e-681a-ee5e-b86ba0ad1b1b?t=1587651895707