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Sven Ortoli
Sven Ortoli

Interviews

La science est le plus beau projet collectif de l’humanité

Question à Sven Ortoli, fondateur de la revue Science & Vie Junior et actuellement conseiller pour la revue Philosophie Magazine, au sein de laquelle il dirige les Hors-séries.

Vous êtes Sven Ortoli, physicien, journaliste et écrivain. En 1988, vous avez créé la fameuse revue Science & Vie Junior. Comment cette idée vous est-elle venue et quels étaient vos objectifs à travers la création de ce magazine ?

Je travaillais dans un groupe de Presse, Excelsior Publications, qui possédait parmi ses titres le mensuel Science & Vie, vénérable institution créée en 1913. Le propriétaire souhaitait capitaliser sur cette marque en la déclinant avec Science & Vie micro (l’un des tous premiers mensuels d’informatique) et Science et Vie économie. Quelqu’un a suggéré que ce serait une bonne idée de faire quelque chose pour un public jeune, grosso modo de 12 à 16 ans. Je me suis proposé pour bâtir ce projet. J’avais en tête qu’on pouvait parler de science autrement et la considérer, en quelque sorte, avec l’esprit de l’île au Trésor (de l’aventure, de la curiosité, du frisson…) sans pour autant céder sur la rigueur. Enfin, c’était l’esprit ! De surcroît, il me semblait – et il me semble toujours – qu’il y a un bonheur de la découverte scientifique qu’il est nécessaire et vital de faire partager. Je crois, au fond, que la science, en tant que projet de dévoilement du monde (ou du réel si on préfère l’appeler ainsi) est le plus beau projet collectif de l’humanité. Le mieux à même de nous écarter de la barbarie, non pas par ses réalisations, mais par la quête de vérité qu’elle représente. Science & vie Junior participait à sa manière de la popularisation de ce projet avec pour devise  » parce que la curiosité est un très beau défaut ».

 

En 1996, vous avez reçu le prix de vulgarisation de l’Académie des sciences pour Science & Vie Junior. Deux ans plus tard, en 1998, vous co-écrivez, avec Jean-Pierre Pharabod, « Le cantique des quantiques: Le monde existe-t-il ? ». Ce livre, vulgarisant le difficile sujet de la mécanique quantique, connut un vif succès et fut même traduit en six langues ! De quelle manière êtes-vous parvenu à rendre accessible à tous des sujets si complexes ?

Nous avons écrit le Cantique des quantiques, Jean-Pierre et moi, en 1984. (Plus tard, sans doute vers 1998, nous avons ajouté une postface qui faisait le point sur un concept apparu entre temps, la décohérence). Le livre a été bien reçu et il a résisté à l’érosion puisqu’il se vend encore aujourd’hui. En ce qui concerne sa genèse, il faut préciser que dans les années 80, la mécanique quantique était peu vulgarisée, en particulier en France. À cette époque, je venais d’achever ma thèse de 3ème cycle en physique des solides et je cherchais à me faire embaucher dans un journal scientifique parce que j’avais envie d’écrire (et que je ne me sentais pas assez attiré / doué pour la recherche). Science & Vie a entrouvert sa porte et j’y suis rentré à l’essai. J’écrivais plutôt mal mais le rédacteur en chef m’a donné une chance et proposé de travailler sur un sujet qu’il jugeait abscons, hermétique et pour tout dire énigmatique : la théorie des quantas. J’ai relevé le gant, en écrivant toujours aussi mal, mais en inventant des métaphores (c’est l’un des ingrédients indispensables d’un bon essai, philosophique ou non), des allégories, des images qui lui ont plu. Bref, il m’a embauché. L’article, est paru, cosigné avec Jean-Pierre qui avait proposé de son côté le sujet mais avait rédigé une version difficilement lisible pour un non spécialiste.  François Gèze, alors le patron des éditions La découverte, nous a appelé pour proposer d’en faire un livre.

 

En France nous avons souvent tendance à opposer les sciences sociales aux sciences dures. Dans votre livre « Léger vertige : des chiffres qui donnent à penser », paru en 2018, vous mettez en lumière et analysez des sujets contemporains cruciaux en vous appuyant sur des séries de statistiques. A travers cette « philosophie chiffrée », vous tissez un lien entre le cartésianisme mathématique et la philosophie. En quoi ces deux disciplines peuvent-elles se nourrir l’une de l’autre ?

Michel Serres vous aurait dit qu’il est catastrophique de détacher sciences « dures » et « molles » et que la séparation géographique des pôles d’excellence français avec le campus de Condorcet en construction au nord de Paris, pour grouper les sciences humaines et le campus d’Orsay, au sud de Paris, avec les sciences dures, est une lourde erreur.  Les bonnes idées se fichent des étiquettes et fleurissent mieux en sautant par-dessus les frontières académiques. Une bonne université, disait en substance un grand historien des sciences américain (Clifford Truesdell, il me semble), doit ressembler au monde d’Alice au pays des merveilles pas à celui des assurances. Ceci dit, mathématiques et philosophie ne se sont jamais totalement perdues de vue ; elles se nourrissent mutuellement au moins depuis les présocratiques et Platon. Sur le rapport très ancien qu’elles entretiennent, vous avez raison d’évoquer Descartes qui est à la fois philosophe, mathématicien et physicien génial (comme Leibniz, Poincaré, Cavaillès etc…). Mais l’intérêt possible de cette philosophie chiffrée que vous relevez tient au rapport établi entre la description du réel par des statistiques comprises comme l’instrument par excellence de la prévision et de la projection dans un futur meilleur et l’inquiétude devant l’idée, très puissante dans notre monde numérisé, que ces statistiques et le big data aujourd’hui pourraient devenir en quelque sorte le seul porte-parole du réel. Ou pire encore s’y substituer. Et on se retrouve dans Black Mirror.

 

Alors que tous les regards étaient tournés vers les enjeux écologiques et climatiques, la pandémie de covid-19 semble venir bousculer l’ordre des choses. En ce qui concerne le monde de demain, pensez-vous que cette crise sanitaire ait rehiérarchisé les enjeux et préoccupations scientifiques ?

Je ne le pense pas. Il va de soi que les industries pharmaceutiques orientent leurs labos vers une recherche de vaccin contre le covid plutôt, disons, que pour prévenir le paludisme. Mais pour le reste, je ne crois pas qu’il y ait une incidence sur les enjeux et préoccupations scientifiques en général, ou à tout le moins, une influence directe. Indirectement, il y a et il y aura bien entendu des répercussions économiques de la crise sanitaire. Il y a et il y aura également des répercussions psychiques sur la perception du futur. Pour revenir un instant sur Science & Vie Junior, lorsque ce journal est paru, donc en janvier 1989, le futur existait, avec des ombres dystopiques mais il était encore attrayant, au moins pour mes lecteurs. Depuis le début du 21ème siècle, on dirait que le futur s’est effacé progressivement de l’univers mental des nouvelles générations. Et cela se comprend. Qui a envie de se projeter en 2100 dans un monde surchauffé en proie aux guerres de l’eau, avec des flux migratoires gigantesques et des pollutions terribles ? D’où l’idée que le présent est moins dangereux que le futur et qu’il faut s’y tenir. Mais lorsqu’on perd le goût du futur, on perd aussi, il me semble, l’envie de changer le monde. Et on perd également le goût des sciences qui ont besoin de cet horizon, de cet avenir sans cesse repoussé. C’est aussi (mais pas seulement) pour cette raison que le lectorat des journaux de science se réduit en peau de chagrin.

 

Fort de vos connaissances et de votre expérience, quels conseils donneriez-vous aux jeunes générations pour affronter ce « nouveau monde » ?

Vous connaissez le mot d’Oscar Wilde : l’expérience est le nom qu’on donne à ses erreurs. Je vous épargne le catalogue des miennes pour en venir à ce qui me semble essentiel : comme tous les « nouveaux mondes », celui qui s’annonce sera violent, intéressant (« puissiez-vous vivre une époque intéressante » dit une malédiction censément chinoise mais plus probablement américaine !) et réclamera plus que jamais une très grande souplesse intellectuelle. Non pas celle qui consiste à s’adapter aux idées dominantes mais celle qui permet et exige le décentrement par rapport à ses propres préjugés. Comment y parvenir ? La souplesse de l’esprit, comme celle du corps, se cultive. Et elle s’entretient par la curiosité. Mourir au monde, c’est cesser d’en être curieux.

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Aimant écrire sur des sujets de société, géopolitiques ou économiques, je vous propose ici mon jeune regard à travers une actualité hebdomadaire. J’essaie d’étudier en profondeur des sujets souvent peu traités par les médias traditionnels nationaux.

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