Question à Philippe Brocard, Chevalier des Arts et des Lettres, chanteur au chœur de l’Armée Française, Directeur artistique des Estivales de Puisaye.
Vous êtes chanteur au chœur de l’Armée, quel a été le 14 juillet le plus impressionnant pour vous ?
Tous les 14 juillet avec le Choeur de l’Armée Française sont impressionnants, c’est un jour exceptionnel dont on ne se lasse pas. Il y a une excitation particulière lié à la solennité du moment; avoir l’honneur de défiler sur l’avenue la plus célèbre du monde et de chanter sur la place de la Concorde, se retrouver, pendant quelques minutes, au « centre des opérations » en France.
Mais si je devais retenir le 14 juillet qui m’a le plus marqué, c’est le 14 juillet 2006. A l’époque je n’étais pas encore au Choeur de l’Armée Française, mais j’ai eu l’honneur d’être le chanteur soliste à la fin du défilé, où j’interprétais le chant des Partisans devant le Président Jacques Chirac et quelques 11 millions de téléspectateurs… C’est évidemment une chance extraordinaire qui a joué un rôle déterminant pour la suite de ma carrière. Etre jeune chanteur et se retrouver sous le feu des projecteurs, en direct à la télévision, en interprétant un des chants les plus émouvants de l’histoire de France, est un exercice qui vous marque à vie. Je me rappelle encore ce que m’avait dit le metteur en scène de l’animation finale qui m’avait engagé, Jean François Rouzières, « Si tu arrives à chanter dans ces conditions, tu pourra tout faire dans ta vie de chanteur », et il avait bien raison.
Vous êtes militaire et chanteur, qu’est-ce que la vie d’un chanteur du chœur de l’armée française ?
La vie d’un chanteur au Choeur de l’Armée Française est très variée et très riche en émotions ! Souvent les gens pensent que nous ne chantons que pour les grandes cérémonies et commémorations officielles, ce qui est vrai mais pas que ! C’est finalement une petite partie de notre activité musicale. Nous avons également une saison lyrique à part entière, avec des concerts dans des grands théâtres ou maisons d’opéras en France mais aussi à l’étranger. Nous sommes régulièrement invités dans des grands festivals, comme « le Violon sur le Sable » à Royan en 2019, avec un répertoire très large, qui va des grands choeurs d’hommes d’opéras, aux musiques traditionnelles et religieuses.
Ainsi la vie d’un chanteur au Choeur de l’Armée est faite de répétitions, de voyages, de concerts et de cérémonies. On peut se retrouver un soir aux théâtres des Champs-Elysées ou à la Philarmonie de Paris pour les concerts de Nöel de Radio-Classique, un matin à l’Ile de Sein pour célébrer l’anniversaire de l’Appel du Général de Gaulle et un après midi au Théâtre en plein air de Saint Gilles de l’Ile de La Réunion pour une tournée de concerts avec l’orchestre à cordes de la Garde Républicaine.
Notre devise est simple : commémorer, honorer, divertir !
Quelles sont les rencontres les plus marquantes que vous avez fait dans le cadre de votre métier, devant qui avez-vous chanté ?
La richesse de mon métier m’a amené à faire beaucoup de rencontres marquantes et « improbables » et il serait bien difficile d’en faire la liste ici ! Si je devais résumer en une phrase, je dirais que je suis certainement le chanteur lyrique qui a chanté devant le plus de chefs d’Etats !!
Néanmoins voici quelques rencontres marquantes:
– En 2009, pour le 65ème anniversaire du débarquement, nous étions aux premières loges au cimetière américain de Colleville-sur-Mer pour interpréter les hymnes Francais, Américain, Canadien et Anglais; à ce titre, nous avons pu voir Barack Obama et…Tom Hanks (invité d’honneur notamment pour son rôle magnifique dans « il faut sauver le soldat Ryan ») qui est venu discuter avec nous et faire une photo !
– Depuis 2014, j’ai la chance de chanter en soliste pour les dîners d’états au Palais de l’Elysée, et je me souviens notamment du diner en l’honneur du Mexique. Avec le ténor Mathieu Septier, lui aussi au Choeur de l’Armée Française, nous avons commencé à chanter « le chanteur de Mexico » de Luis Mariano, et quelle ne fut pas notre surprise de voir les invités se mettre à applaudir et ovationner à chaque refrain du fameux « Mexiiiiiico » qui n’en finit plus !
– Plus récemment, lors du centenaire de la première Guerre Mondiale un dîner était organisé au musée d’Orsay le 10 novembre 2018 avec plus de 80 chefs d’états et notamment la Chancelière allemande Angela Merkel et le Président américain Donald Trump. Pendant ce dîner, j’interprétais plusieurs airs d’opéras et chansons avec l’orchestre à cordes de la Garde Républicaine dirigé par le Colonel François Boulanger. Pendant une chanson, je me déplace entre les tables avec la mission périlleuse suivante : arriver à faire chanter tous les invités ! Mission réussie, grâce au Champs Elysées de Joe Dassin dont le refrain n’avait visiblement plus aucun secret pour les 80 chefs d’Etats !!
Il s’agit évidemment de rencontres et d’anecdotes plutôt joyeuses mais il est aussi des rencontres et des moments particulièrement émouvants; je citerai celui qui m’a le plus marqué :
– Le dimanche 26 avril 2015, le président Hollande se rend au camp de Natzweiler-Struthof (le seul camp de concentration nazi installé sur le sol français) pour célébrer la journée nationale de la déportation. A cette occasion, il fait appel au Choeur de l’Armée pour interpréter le chant des partisans et l’hymne européen. Juste avant de chanter, un vieil homme, rescapé du camp, arrive soutenu par ses arrières petits-enfants avec sa tenue de déporté: il s’installe au micro et prononce un discours d’une force et d’une émotion difficiles à décrire. A la fin du discours, une minute de silence, nous avons tous les larmes aux yeux et la gorge nouée…juste avant de chanter…
Aujourd’hui vous êtes aussi directeur artistique d’un festival de musique classique, pourquoi cette aventure et pourquoi avoir choisi de maintenir une édition 2020 ?
Depuis 18 ans, il est une aventure un peu folle qui s’appelle « les Estivales de Puisaye », un festival de musique classique itinérant en Bourgogne, notamment dans l’Yonne et la Puisaye. Pourquoi une telle aventure? Parce qu’elle est humaine, familiale et musicale. La musique étant, à mon sens, le plus beau des prétextes pour tous se retrouver. La musique rapproche, elle rassemble, elle permet aux artistes de s’exprimer devant un public. Le principe même des Estivales est d’apporter cette musique aux gens, chez eux, dans leurs églises, dans leurs théâtres, parfois dans leurs jardins, de leur faire écouter les grands classiques mais aussi de leur faire découvrir des perles du répertoire. J’ai la chance de diriger ce festival avec une équipe de bénévoles dont l’investissement sans faille est le garant de cette réussite. Je ne les remercierai jamais assez !
Evidemment la crise sanitaire est venu perturber la préparation des Estivales et il a fallu, tous ensemble, gérer cette « crise », s’adapter, prendre les bonnes décisions.
La facilité aurait été d’annuler tout simplement, et de reporter.
Mais, avec toutes les personnes qui nous soutiennent depuis si longtemps, acteurs publics et privés, avec tout ce que la culture endure depuis maintenant près de 6 mois, il était inimaginable de ne pas être présent cet été, sous quelque forme que ce soit.
Aussi bien sûr, il ne s’agissait pas d’être déraisonnable et de faire comme si le virus avait disparu, nous nous sommes donc adaptés à la situation et avons décidé de maintenir une édition « spéciale » avec 6 concerts (au lieu de 14 habituellement) de musique de chambre et récitals qui se dérouleront dans le respect des règles sanitaires en vigueur avec une jauge limitée. Ils auront lieu du 18 au 23 août 2020.
C’est un risque financier pour nous, car il est difficile de prévoir quelle va être la fréquentation, en plus limitée, des concerts.
Mais le maintien des Estivales de Puisaye 2020 va aussi nous permettre de garder un lien avec notre public, de soutenir aussi les artistes durement touchés dans cette crise avec l’annulation de beaucoup de leurs concerts.
Nous nous sommes adaptés parce que la vie culturelle ne doit pas s’arrêter, et parce que, tout simplement, la vie continue.